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Surtout, elle est multiple, surprenante, infinie. Il suffit de la regarder, de lire sa partition de pierre, de se laisser prendre au jeu de la contemplation. Venise n’aime pas les amours pressées, les « to-do-list » et les coureurs de « must see ». Elle leur préfère les promeneurs curieux qui prennent le temps de la regarder. Alors, elle se laisse voir…
Ville intime de replis, c’est en la parcourant lentement qu’on l’apprécie vraiment. À force de balades, j’ai tricoté mon itinéraire dans Venise. Voici le chemin qui me fait vibrer, construit au gré des coups de cœur. Mon errance amoureuse dans Venise. Pas avare en amour, je vous présente ma Venise aimée : chacun de vous, avec sa propre sensibilité, y fera une rencontre unique, j’en suis sûre.
Le quartier de Cannaregio, ce sont de longues striées rectilignes formées par les canaux, inhabituellement parallèles pour Venise. Leur tracé à peine incurvé traverse la ville d’ouest en est. On les suit au rythme lent de la promenade rêveuse pour observer les couleurs des maisons se dégrader en mille reflets sur l’eau.
Plus loin, viendra Castello, le quartier par lequel Venise se termine. À eux deux, ils forment la partie nord de la ville, tête et queue du poisson. Car vu d’en haut, Venise a la forme d’une dorade, qui se serait réfugiée dans la lagune pour y hiberner, et ne l’aurait jamais plus quittée, comme le raconte Tiziano Scarpa dans son livre Venise est un poisson.
La « fondamenta », en langue locale, c’est le quai, mais aussi la fondation. La base sur laquelle Venise repose. Celle de Cannaregio est large et baignée de soleil. Les courants lagunaires y entrent avec les « vaporetto », et portent, au bout, sur le majestueux pont des Tre Archi. Nous sommes à deux pas du Ghetto : entrons-y.
Sans même les remarquer, on passe à côté des gonds qui fermaient les portes du premier ghetto hébraïque d’Europe, créé en 1516. Obligés de vivre sur un territoire réduit, les juifs construisent alors des bâtiments plus hauts que les standards vénitiens, avec sept à huit étages. Des synagogues y sont installées, dans de petites salles sous les toits.
Laissons l’animation du campo del Ghetto, où jouent des hordes d’enfants, pour marcher le long de la Fondamenta dei Ormesini. Procédant par quais interposés, nous dérivons vers la Sensa, un autre canal parallèle, avec le campanile de la Madonna dell’Orto pour boussole.
Nous y voilà : une façade de brique, ornée de dentelles de pierre, c’est l’église gothique qui veille sur plusieurs œuvres du peintre Tintoret. Le génie de Venise est un enfant du quartier, où se trouve sa maison. On la reconnaît, à quelques pas du Campo dei Mori, à sa façade rouge et à sa fenêtre gothique.
En passant devant la maison du peintre, il se peut que vous souhaitiez entrer jeter un œil dans l’atelier del Tintoretto, imprimerie artisanale de bric et de broc où sont organisés des cours de sérigraphie. Un peu plus loin, vous pourriez tomber sur un sphinx gardien de pont : le chat du Squero dei Muti, énorme matou posté aux pieds du pont, là où tombe un rayon de soleil propice.
Si vous échappez à son regard séducteur, vous pourrez poursuivre votre route vers le Campo dell’Abazia. Ici, deux façades ravissent le regard. La première, gothique et de brique, montre les cicatrices du temps. L’autre, baroque, lui oppose ses statues de pierre d’Istrie.
La rêverie vient s’achever, avec le quartier de Cannaregio, sur les berges d’un petit canal, pour un dernier miracle de l’art. L’église Santa Maria dei Miracoli a des parois de marbre polychrome qui lui donnent l’allure d’une boîte à bijou, coiffée d’un dôme miraculeusement gonflé au dessus de l’édifice construit sur un bout si étroit de terre.
Il suffit d’un pont pour changer de quartier : nous voilà à Castello, sur le Campo Santi Giovanni e Paolo. Un nouveau souffle pour notre aventure amoureuse avec Venise, qui se renouvelle d’un « sestiere » (c’est comme ça qu’on appelle ses quartiers) à l’autre. C’est là que l’hôpital de Venise s’est installé, derrière une façade de marbre polychrome qui joue les trompes-l’œil.
Disséminés aux alentours, places et palais prestigieux : au premier abord, Castello est aristo, fort de sa proximité avec Saint-Marc. Mais c’est vers la face plus champêtre du quartier que je veux vous conduire.
À San Francesco della Vigna, difficile d’imaginer que derrière les murs de l’église, se cache bel et bien un cloître et des jardins où cultivent les frères. Pour le promeneur, l’église offre la promesse d’une toile de Bellini et de nombreux visages figés dans la pierre ou sur la toile. Mais surtout, on goûte avec délice au silence délicieux du campo voisin, perturbé par le seul chuintement de la fontaine.
Le quartier devient labyrinthe, encore un peu plus. Obligés d’abandonner nos repères, nous nous perdons dans les ruelles où le linge est mis à sécher. Tourner en rond, pour tomber, et retomber, de canal en placette. Inévitablement, on débouche sur une artère, large et baignée de soleil. C’est la via Garibaldi, une voie moderne voulue par Napoléon, construite sur un canal enterré. Au fond, la lagune, et une vue ouverte sur le bassin de Saint Marc.
Comme un aimant, les éclats lumineux sur l’eau nous attirent jusqu’à la rive. De là, il n’y a plus qu’à faire quelques pas pour arriver à la pinède de Sant’Elena, dernière île du quartier de Castello. Sur l’herbe ou sur un des bancs, avec un peu de patience, on verra le ciel s’enflammer de rouge, d’orange ou de rose à mesure que le soleil décline.
Éprouvés par la marche mais éblouis par la contemplation, on scelle la rencontre avec Venise en jetant un regard jusqu’à l’île de la Giudecca et les églises palladiennes. Le doge, lui, épousait chaque année la cité en y lançant un anneau, symbole de l’union de Venise à la mer…
Venise, c’est la ville des amoureux. Mais c’est aussi la ville où je tombe amoureuse à chaque coin de rue. Pas d’un bel Italien, ni d’un gondolier en tricot rayé. Pas même d’un matou ronronnant au soleil. À chaque pas, c’est Venise qui me séduit un peu plus…
Surtout, elle est multiple, surprenante, infinie. Il suffit de la regarder, de lire sa partition de pierre, de se laisser prendre au jeu de la contemplation. Venise n’aime pas les amours pressées, les « to-do-list » et les coureurs de « must see ». Elle leur préfère les promeneurs curieux qui prennent le temps de la regarder. Alors, elle se laisse voir…
Le plan de ma balade secrète à Venise
Ville intime de replis, c’est en la parcourant lentement qu’on l’apprécie vraiment. À force de balades, j’ai tricoté mon itinéraire dans Venise. Voici le chemin qui me fait vibrer, construit au gré des coups de cœur. Mon errance amoureuse dans Venise. Pas avare en amour, je vous présente ma Venise aimée : chacun de vous, avec sa propre sensibilité, y fera une rencontre unique, j’en suis sûre.
Errance de Cannaregio à Castello
Le quartier de Cannaregio, ce sont de longues striées rectilignes formées par les canaux, inhabituellement parallèles pour Venise. Leur tracé à peine incurvé traverse la ville d’ouest en est. On les suit au rythme lent de la promenade rêveuse pour observer les couleurs des maisons se dégrader en mille reflets sur l’eau.
Plus loin, viendra Castello, le quartier par lequel Venise se termine. À eux deux, ils forment la partie nord de la ville, tête et queue du poisson. Car vu d’en haut, Venise a la forme d’une dorade, qui se serait réfugiée dans la lagune pour y hiberner, et ne l’aurait jamais plus quittée, comme le raconte Tiziano Scarpa dans son livre Venise est un poisson.
De la fondamenta au Ghetto
La « fondamenta », en langue locale, c’est le quai, mais aussi la fondation. La base sur laquelle Venise repose. Celle de Cannaregio est large et baignée de soleil. Les courants lagunaires y entrent avec les « vaporetto », et portent, au bout, sur le majestueux pont des Tre Archi. Nous sommes à deux pas du Ghetto : entrons-y.
Sans même les remarquer, on passe à côté des gonds qui fermaient les portes du premier ghetto hébraïque d’Europe, créé en 1516. Obligés de vivre sur un territoire réduit, les juifs construisent alors des bâtiments plus hauts que les standards vénitiens, avec sept à huit étages. Des synagogues y sont installées, dans de petites salles sous les toits.
Dans le quartier de Tintoret
Laissons l’animation du campo del Ghetto, où jouent des hordes d’enfants, pour marcher le long de la Fondamenta dei Ormesini. Procédant par quais interposés, nous dérivons vers la Sensa, un autre canal parallèle, avec le campanile de la Madonna dell’Orto pour boussole.
Nous y voilà : une façade de brique, ornée de dentelles de pierre, c’est l’église gothique qui veille sur plusieurs œuvres du peintre Tintoret. Le génie de Venise est un enfant du quartier, où se trouve sa maison. On la reconnaît, à quelques pas du Campo dei Mori, à sa façade rouge et à sa fenêtre gothique.
Dernier miracle avant Castello
En passant devant la maison du peintre, il se peut que vous souhaitiez entrer jeter un œil dans l’atelier del Tintoretto, imprimerie artisanale de bric et de broc où sont organisés des cours de sérigraphie. Un peu plus loin, vous pourriez tomber sur un sphinx gardien de pont : le chat du Squero dei Muti, énorme matou posté aux pieds du pont, là où tombe un rayon de soleil propice.
Si vous échappez à son regard séducteur, vous pourrez poursuivre votre route vers le Campo dell’Abazia. Ici, deux façades ravissent le regard. La première, gothique et de brique, montre les cicatrices du temps. L’autre, baroque, lui oppose ses statues de pierre d’Istrie.
La rêverie vient s’achever, avec le quartier de Cannaregio, sur les berges d’un petit canal, pour un dernier miracle de l’art. L’église Santa Maria dei Miracoli a des parois de marbre polychrome qui lui donnent l’allure d’une boîte à bijou, coiffée d’un dôme miraculeusement gonflé au dessus de l’édifice construit sur un bout si étroit de terre.
Un saint dans les vignes
Il suffit d’un pont pour changer de quartier : nous voilà à Castello, sur le Campo Santi Giovanni e Paolo. Un nouveau souffle pour notre aventure amoureuse avec Venise, qui se renouvelle d’un « sestiere » (c’est comme ça qu’on appelle ses quartiers) à l’autre. C’est là que l’hôpital de Venise s’est installé, derrière une façade de marbre polychrome qui joue les trompes-l’œil.
Disséminés aux alentours, places et palais prestigieux : au premier abord, Castello est aristo, fort de sa proximité avec Saint-Marc. Mais c’est vers la face plus champêtre du quartier que je veux vous conduire.
À San Francesco della Vigna, difficile d’imaginer que derrière les murs de l’église, se cache bel et bien un cloître et des jardins où cultivent les frères. Pour le promeneur, l’église offre la promesse d’une toile de Bellini et de nombreux visages figés dans la pierre ou sur la toile. Mais surtout, on goûte avec délice au silence délicieux du campo voisin, perturbé par le seul chuintement de la fontaine.
Un bout de pinède au bord de l’eau
Le quartier devient labyrinthe, encore un peu plus. Obligés d’abandonner nos repères, nous nous perdons dans les ruelles où le linge est mis à sécher. Tourner en rond, pour tomber, et retomber, de canal en placette. Inévitablement, on débouche sur une artère, large et baignée de soleil. C’est la via Garibaldi, une voie moderne voulue par Napoléon, construite sur un canal enterré. Au fond, la lagune, et une vue ouverte sur le bassin de Saint Marc.
Comme un aimant, les éclats lumineux sur l’eau nous attirent jusqu’à la rive. De là, il n’y a plus qu’à faire quelques pas pour arriver à la pinède de Sant’Elena, dernière île du quartier de Castello. Sur l’herbe ou sur un des bancs, avec un peu de patience, on verra le ciel s’enflammer de rouge, d’orange ou de rose à mesure que le soleil décline.
Éprouvés par la marche mais éblouis par la contemplation, on scelle la rencontre avec Venise en jetant un regard jusqu’à l’île de la Giudecca et les églises palladiennes. Le doge, lui, épousait chaque année la cité en y lançant un anneau, symbole de l’union de Venise à la mer…
À propos de l’auteur
Qui est mieux placée que Lucie Tournebize pour parler de Venise ? Non seulement elle est amoureuse de la Sérénissime, mais elle y vit ! Elle l’arpente dans tous les sens et répertorie ses coups de cœur sur son site Venise à votre image ainsi que son blog L’Occhio di Lucie, consacré plus largement à l’Italie. C’est à elle que l’on doit l’article sur Venise sans la foule et plein d’autres sur les magnifiques régions italiennes.
Qui est mieux placée que Lucie Tournebize pour parler de Venise ? Non seulement elle est amoureuse de la Sérénissime, mais elle y vit ! Elle l’arpente dans tous les sens et répertorie ses coups de cœur sur son site Venise à votre image ainsi que son blog L’Occhio di Lucie, consacré plus largement à l’Italie. C’est à elle que l’on doit l’article sur Venise sans la foule et plein d’autres sur les magnifiques régions italiennes.
Crédits carte : Map tiles by Stamen Design, under CC BY 3.0. Data by OpenStreetMap, under CC BY SA.
Photo de couverture : Vision printannière du Campo Bragora à Venise… © L’Occhio di Lucie